Interview de Paul Anselin // Auteur de « La France et les Touaregs »
Pourquoi ce livre ?
Passionné par les touaregs comme beaucoup d’officiers de ma génération, bercé des légendaires exploits des sahariens, des soldats d’exception n’hésitant pas à mettre le pouvoir civil devant des faits accomplis ; j’avais suggéré à des amis de faire un livre sur les touaregs. Sans succès ! J’ai considéré que je devais le faire !
L’histoire des Touaregs. Pourquoi ?
On ne peut pas comprendre le problème de cette région du Sahel et du Sahara si stratégique pour l’Afrique et la France sans connaître l’histoire des touaregs, leur mentalité, leurs coutumes. Les touaregs, ceux de l’Adrar des Iforas spécialement ont toujours été les amis de la France, ils n’ont jamais porté les armes contre nous. Tous les Touaregs cultivent une identité qui n’a rien à voir avec l’Islam intégriste ; certes ils ont des défauts, leur capacité de se disputer entre eux étant leur principal handicap.
Pour bien comprendre le monde actuel , il faut aussi faire un peu d’histoire…
Vous parlez de SERVAL, de l’avant et de l’après …
Les communiqués du Ministère de la Défense, du porte-parole de la Force de Serval, les articles de presse sont de bonnes bases pour bien comprendre SERVAL et son organisation par Groupements Tactiques bénéficiant d’une grande marge d’initiatives et travaillant étroitement avec les forces spéciales, elles-mêmes en relations avec les Touaregs, le MNLA notamment. J’ai eu la chance de rencontrer des officiers ayant participé à Serval sous les ordres du Général Barrera. L’armée française a mené cette opération avec une efficacité unique au monde. Son chef, un vrai grand soldat, a su utiliser avec audace les qualités de ses subordonnés et appliquer sur le terrain une organisation des forces alliant rapidité, audace et sûreté, d’où le succès brillant de notre armée qui fait honneur à la France.
Pour les autres infos, on n’est jamais totalement sûr, surtout celles qui ont trait aux compromissions entre les djihadistes, la mafia et les politiques : j’ai souvent parlé au conditionnel reprenant des accusations souvent reprises par la presse de Bamako et par la presse française. Mes informations sont recoupées avec celles des meilleurs spécialistes de l’Afrique. Je pense en particulier, car ils ont gardé des contacts sérieux, à des anciens officiers ayant commandés des Unités Sahariennes (créées par Laperrine au début du XXème siècle), aux anciens des services secrets français mais aussi aux informations de très bons spécialistes travaillant pour la presse française et algérienne, sans oublier, bien entendu des officiers des forces spéciales ou de la DGSE.
Votre thèse est originale…
Elle est réaliste : le Califat islamiste qui tente de s’installer en Libye est au moins aussi dangereux pour l’Europe occidentale et la France que celui qui s’est installé au Moyen Orient. Nonobstant l’action à mener dans les pays africains, il faut couper les communications entre ce continent et les ports de la Méditerranée pour éviter l’arrivée de djihadistes se mélangeant au flux migratoires qui vont s’amplifier compte tenu des guerres et des persécutions qui règnent dans une grande partie de l’Afrique. N’oublions pas l’attrait que représente l’Europe occidentale pour des gens affamés soumis à la violence souvent tribale et religieuse dont il faut appréhender les raisons. Pour cela, il faut un accord pour contrôler les voies de communication en montant vers le Nord, un accord avec les Maures de Nouakchott à l’ouest, les Toubous à l’est et bien entendu les Touaregs.
Ma thèse se termine aussi par un examen des remèdes à trouver en France : la réponse ne peut être que globale : militaire, judiciaire, éducative, économique et sociale. Avec quelques spécialistes, nous estimons aussi que le combat est théologique : il faut aider les réformateurs musulmans à revoir le « logiciel de l’Islam ». Il y a toujours eu des réformateurs dans l’Islam mais depuis le 13e siècle, ils sont persécutés. C’est le fond du problème.
Et le rôle de la France ?
Ce serait prétentieux d’avoir des certitudes mais j’ai des convictions. Au Moyen Orient, la France va reprendre en liaison avec la Russie son rôle historique de protection des chrétiens et des minorités en général. Au Sahara et au Sahel, il faut rechercher un accord avec l’Algérie beaucoup de dirigeants y sont prêts.
Dans cette guerre mondiale qui sera longue, il faut aussi retourner contre les djihadistes l’usage d’Internet dont ils se servent habilement et montrer ce qu’ils sont réellement.
La politique nationale ne peut être guidée que par l’intérêt de la France.